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Article La Montagne - Disparition des truites

Projection 2050

Le journal "La Montagne" a consacré un dossier aux conséquences du rechauffement climatique dans le Cantal d'ici à 2050 dans son édition du 8 décembre 2024.

A lire ci-dessous.


Disparition des truites, moins de vaches et cèdres du Liban : à quoi ressemblera le Cantal en 2050 avec le réchauffement climatique ?

À l'amorce de la COP29, qui s'est déroulée à Bakou (Azerbaïdjan) à la fin du mois de novembre, le Programme des Nations Unies pour l’environnement a émis l'hypothèse qu'en 2050, la planète se serait réchauffée de 3,1 degrés. Dans le Cantal, les changements seront très impressionnants.


Comme une hausse des températures globales de 3,5 degrés ne veut pas nécessairement dire qu'elle se répercutera exactement de la même manière, Laurent Garcelon, Cantalien et président de l’association Infoclimat, a fait les calculs pour le département. Son hypothèse globale est à peine plus pessimiste que le rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement, « Émissions Gap Report », présenté juste avant la COP29 qui vient de se terminer à Bakou (Azerbaïdjan), qui se projette sur une hausse de 3,1 degrés.

Dans le département, « cela correspond à une hausse moyenne de 3,2°, plus sensible l’après-midi, avec 3,4°, que la nuit, avec 2,9°. » En plaine, « cela fait passer de 70 jours de gel, aujourd’hui, à 20. En montagne, cela passe de 110 à 50. C’est colossal, cela veut dire que la neige aura de plus en plus de mal à tenir, que les sols seront moins froids. »

Sur une année, le Cantal restera arrosé. Mais la pluie sera plus présente en automne et en hiver, et les périodes de sécheresse seront régulières en été, avec jusqu’à 100 mm de moins en montagne, à cumuler avec une hausse de l’évapotranspiration des plantes. C’est un vrai sujet pour le département, qui a peu de nappes phréatiques, et où les zones humides ont été détruites : dès qu’il s’arrête de pleuvoir, la sécheresse guette. Pour le cézallier et la planèze, des zones déjà plus sèches que le reste du département car situées à l’est du volcan et moins touchées par les dépressions venues de l’Atlantique, l’impact sera important.

Laurent Garcelon a deux images pour permettre de se le figurer. L’année 2022, où la sécheresse avait totalement brûlé les estives, serait une année normale en 2050. Il avait, cette année-là, fallu stopper la production de salers AOP... Le climat du Cantal ressemblerait en fait à celui d’Albi, aujourd’hui.

La forêt totalement renouvelée, et transfigurée

Si cela se confirme, les forêts changeront et, avec elles, les paysages du Cantal. Elle souffre déjà dans le département : plusieurs essences, affaiblies par le réchau"ement climatique, disparaissent. L’épicéa est un exemple flagrant, ravagé par les scolytes : des parcelles entières sont mortes debout, attendant les forestiers. Les frênes, les hêtres, certains châtaigniers, sont également en diffculté.

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En 2050, ces paysages issus des grandes monocultures d’après-guerre auront disparu. Le plan France nation verte prévoit la plantation d’un milliard d’arbres, et « cela suppose une politique publique très importante, pour aider les propriétaires à couper les parcelles et à replanter, explique Nicolas Sarrauste de Menthières, président de Fransylva dans le Cantal. Sinon, on aura des forêts mortes sur pied. » Pour replanter, ce sont des espèces du sud qui sont préconisées : sapin de Bornmüller (Turquie), sapin de Céphalonie (Grèce), cèdre du Liban, chêne pubescent. L’autre grande di"érence sera sur la manière de travailler : terminé les coupes rases, il faudra travailler en futaie continue, pour que les jeunes pousses profitent de l’ombre des arbres plus matures. Surtout, les monocultures auront disparu : « Cela permet aux propriétaires de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier », termine Nicolas Sarrauste de Menthière.

Moins de vaches, et des arbres pour faire parasol

Les chambres d’agriculture du Massif central ont travaillé très précisément sur les impacts du changement climatique dans le Cantal en 2050, sur plusieurs secteurs, de Sénezergues à Marcenat. « L’enjeu est d’obtenir un maximum de données utiles à nos réseaux pour nous aider à nous adapter en fonction de nos productions et de nos objectifs personnels. Une chose est sûre : nous ne pourrons plus conduire nos exploitations comme avant », explique Pierre Baladuc, élu référent dans le Cantal pour l’AP3C (Adaptation des pratiques culturales au changement climatique).

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À Marcenat, 1.075 mètres d’altitude, la mise à l’herbe serait avancée au 20 mars, un mois plus tôt qu’en 1980, et la première forte gelée automnale arriverait autour de la fin novembre, une semaine plus tard qu’en 2022. Cela permet d’allonger la saison, mais le bilan hydrique de l’été se dégraderait : la pousse de l’herbe serait moins bonne.

Tout proche, sur l’estive de Pradiers, la Coptasa s’est déjà retrouvée à compléter l’herbe avec du fourrage, en août, et baisse désormais le nombre de vaches à l’hectare. L’espace se réorganise, autour de parcelles plus petites, avec davantages de points d’eau, probablement des citernes enterrées pour la stocker, et des haies pour briser le vent et proposer de l’ombre aux animaux. Dans le cadre de l’AP3C, l’étude préconise aussi de diversifier les ressources fourragères, avec un travail à faire sur l’agroforesterie. Là encore, les arbres n’ont que des avantages : ils peuvent constituer un éventuel revenu et proposer de l’ombre aux vaches, qui craignent les chaleurs au-delà de 25°. Cela concernerait 22 jours par an, en 2050, à Marcenat, selon les prévisions.

La disparition des truites en altitude

Le réchauffement climatique met déjà à mal cette espèce d’eau froide, notamment sur les rivières en altitude. « On a des stations de suivi qui dépassent 25°, le seuil de température supportable pour l’espèce », explique Romain Max, technicien à la Fédération de pêche du Cantal. C’est le cas du Lagnon, en amont de Prat-de-Bouc : il traverse des prairies sans être protégé par des arbres. Du 2 au 15 août 2024, il a largement dépassé les 22 degrés tous les jours, atteignant presque 26°, le 12 août. Avec des étés plus chauds et plus secs, la carte postale cantalienne de la petite rivière coulant au milieu des estives, ne résiste pas aux hausses de températures.

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Pour éviter le désastre, il faudrait travailler avec les propriétaires, planter des arbres, protéger le ruisseau du piétinement et limiter les prélèvements en été quand la pression touristique est la plus forte.

« Il faut agir tout de suite. Pas dans deux ans, ou dix ans. C’est maintenant, insiste Agnès Tronche, technicienne à la Fédération. La réponse qu’on nous donne, c’est que cela a toujours été comme ça, sans arbres. Sauf qu’avant, il y avait davantage d’eau. Et si la truite disparaît, on n'arrivera pas à la réinsérer. »

... et des rivières bouleversées

Avec la concentration des précipitations sur certaines périodes de l’année et l’absence de neige en altitude, les techniciens de la Fédération de pêche ont vu l’apparition de crues éclairs. « Les excès ne sont pas favorables », explique Romain Max, technicien, qui constate que les pontes sont déjà régulièrement emportées. En dessus de Liadouze, à Mandailles, cinq années consécutives ont ainsi été rendues infructueuses par les crues de fin d’hiver.

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La solution est de reconnecter tous les ruisseaux, pour permettre aux jeunes truites de recoloniser les endroits sinistrés, donc de casser les di"érents seuils qui peuvent exister. Des obstacles à enlever également en été, quand les poissons chercheront la fraîcheur. Aujourd’hui, les plus grandes rivières du département sont épargnées mais si les sécheresses s’enchaînent, le manque d’eau concentrera les problèmes. « Avec 30 à 50 % de débit en moins, on arrivera sur des problématiques de colmatage, de pollution, de manque d’habitat disponible », énumère Romain Max.

« On a de quoi s’inquiéter sur l’avenir de la truite dans le département », conclut Bruno Denise, vice-président de la Fédération. Et ce n’est pas de nature à inquiéter uniquement les pêcheurs : « C’est l’espèce la plus exigeante, explique Romain Max. Si elle disparaît, il y a des conséquences sur l’ensemble du milieu aquatique. »

Les marais du Cassan secs et inflammables

Les zones humides ont beaucoup été drainées dans le Cantal, à tort. À Saint-Paul-des-Landes, les marais du Cassan sont protégés. C’est devenu à la fois un lieu de promenade prisé des Aurillacois, et un site ressource pour les alentours : « Avec les sécheresses récentes, les agriculteurs voient bien que ce sont des prés qui restent verts, explique Christophe Grèze, technicien en charge du site pour le Conservatoire des espaces naturels d’Auvergne. C’est une mosaïque de milieux, avec beaucoup de diversité, qui ralentit l’eau, lui permet de s’infiltrer et joue un rôle de tampon en cas d’épisode pluvieux violent. »

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Mais à plusieurs reprises depuis 2017, des ruisseaux alimentant les marais ont été à sec, une première selon les riverains. Les problématiques sont multiples : sans eaux de pluie, certaines plantes pourront disparaître, comme la narthécie. La molinie, une herbe, se dégrade très peu. Le manque d’eau la transformerait en une paille très inflammable, ce qui favoriserait les incendies. Enfin, des milieux aujourd’hui noyés et privés d’oxygène se retrouveraient à l’air libre. « Le risque, c’est qu’il y a un phénomène de minéralisation. On va avoir un relargage de gaz à e"et de serre. De puits de carbone, les marais du Cassan deviendraient producteurs », explique Christophe Grèze.

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Cela, c’est sans compter l’impact sur les secteurs autour, qui profitent des bienfaits de la zone humide, « elle gardera ce rôle, mais elle le jouera moins bien. » La solution, appliquée à Saint-Paul-des-Landes, est « d’améliorer l’hydrologie du site ».

Le sujet est complexe, comme le site. C’est en fait le contraire d’un étang artificiel, qui favorise l’évaporation et prive les milieux alentour de ruissellement. Là, il faut ralentir l’eau sans qu’elle ne stagne, remettre des méandres sur les ruisseaux, lui permettre de s’infiltrer dans le sol. Les arbres sont aussi favorisés, ils vont « jouer un rôle de tampon, casser le vent, créer de l’ombre ».

Problème : « C’est un travail de concertation, avec une vision à long terme qui s’oppose parfois à des objectifs à court terme. C’est un gros travail de pédagogie. »

Au Lioran, la neige artificielle pour tenter de sauver l'économie

Le poumon économique de la montagne cantalienne, 400 emplois en hiver, sera forcément transfiguré. La neige naturelle sera plus rare et limitée aux secteurs les plus hauts du département. À l’altitude de la station, la neige artificielle sera reine.

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Sur la base de cette étude, en 2050, « il y aura toujours un domaine skiable, mais pas aussi étendu qu’aujourd’hui ». Les perches, aujourd’hui en place, sont remplacées par du matériel récent, les secteurs les moins fréquentés seront peu à peu abandonnés lorsqu’il faudra investir sur le télésiège ou le tire-fesses. Compter davantage sur l’enneigement artificiel pose deux problèmes : le coût de l’énergie, très volatile, et l’eau. Pour le second, deux réserves existent, aux Gardes et près de la gare.

Une troisième pourrait arriver, « cette question du stockage de l’eau, c’est presque une priorité aujourd’hui », estime Bruno Faure.

« Rien ne pourra remplacer le ski. Aucune activité ne peut venir amortir un changement de télésiège. Les randonneurs et le VTT ne peuvent pas su#re, continue-t-il. Cette année, la Saem a été en di#culté financière, comme les loueurs de ski, mais le reste de la station fait une année record. Sans la neige artificielle, ce n’est pas le cas. On sait que, même si ce n’est pas rentable pour l’opérateur, ça l’est pour le territoire. » Les retombées économiques du Lioran sont estimées à 30 à 40 millions d’euros, les bonnes années.

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La stratégie est d’étoffer l’offre d’activité et d’hébergement du Lioran, été comme hiver, tout en continuant à compter sur la neige pour ses recettes. Une partie des financements sont publics, et investir sur cet axe peut ressembler à une fuite en avant pour le contribuable cantalien : « Tout le monde s’interroge, s’inquiète et la réflexion est diffcile, répond Bruno Faure. Il faut que le contribuable cantalien imagine aussi l’activité économique et l’emploi généré par la station. Il faut prendre le problème dans sa globalité. Elle reste une locomotive touristique ».

Un changement plus brutal qu'attendu

Si le tableau dépeint est déjà sombre, il est en fait plus inquiétant. Le Lioran travaille son avenir à partir d’en étude de Météo France, Climsnow, partant d’une hypothèse plus optimiste, d’une hausse de 2 degrés à l’horizon 2050. « On ne va pas en refaire une autre, explique Bruno Faure, président de la Saem et du Conseil départemental. Dans tous les cas, le travail est basé sur une hypothèse. »

Mais depuis dix ans, toutes les hypothèses les plus pessimistes ont été dépassées par la réalité, et celle des 2 degrés est déjà datée. Si les scientifiques prédisaient la bonne trajectoire, la hauteur de la courbe a régulièrement été sous-estimée. En vérité, « je doute que l’on en reste à 3,5° », soupire Laurent Garcelon. Pourtant, même en étant optimiste, le temps manque déjà pour s'adapter à la violence du changement climatique.

Par Pierre Chambaud
Publié le 8 décembre2024
Journal La Montagne Cantal